Lubrizol : quand la communication éclipse la bonne gestion opérationnelle de la crise
Date11 October 2019
Type
Articles
Le 26 septembre, à 2h48, un incendie se déclare dans l’usine Lubrizol, située en marge de l’agglomération rouennaise. Plus que des explosions qui s’en suivent et que des panaches de fumées noire, c’est d’une incertitude qui dure, d’une peur grandissante et de la colère des habitants dont l’on se souviendra.
Comme pour tous les sites classés Seveso seuil haut, un plan particulier d’intervention est prévu, que le préfet de Seine Maritime déclenche à 6h46. Pourtant, on peut s’interroger sur les raisons qui poussèrent le préfet à prendre certaines décisions. Le signal d’alarme à la population n’est déclenché qu’à 7h45, soit cinq heures après le début de l’incendie. A ce sujet, le préfet déclare que réveiller la population qui était « largement endormie » et « de facto en confinement », aurait nuit au bon déroulement des opérations, et aurait ralenti les pompiers occupés à éteindre le feu. Au déclenchement de l’alarme, la population, qui n’est pas formée à reconnaitre les différents signaux (confinement, évacuation…), semble alors découvrir qu’elle vit à proximité de ce site classé Seveso.
A trois cents mètres de l’usine, une aire d’accueil pour les gens du voyage est oubliée : ne s’agissant pas d’une zone résidentielle, elle n’apparait pas dans le processus lacunaire de gestion de crise. Le numéro vert, permettant à la population d’exprimer ses peurs, de demander des renseignements et de faire face au choc n’est ouvert qu’une semaine après, le 2 octobre. Les écoles ne sont pas fermées immédiatement.
Le préfet prend pour la première fois la parole à 10h, lors d’une allocution qui se veut rassurante mais dont les effets sont assez incertains.
Si cette réticence à sonner l’alarme se veut rassurante de la part des pouvoirs publics, la multiplication de propos contradictoires de leur part alarme la population. Alors que le préfet parle de « toxicité non-aigue », les pompiers appelés sur place affirment au contraire que « le risque est là » et qu’on ne peut nier la toxicité du nuage.
Ce manque d’alignement entre les différents services de l’État provoque une cacophonie qui occasionne une perte de confiance en la parole des autorités, les pompiers étant de plus une partie prenante parmi les plus crédibles.
Le ton choisi n’est également pas adapté : trop technique, il ne rassure pas et ne répond pas aux inquiétudes légitimes d’une population qui commence à se demander pourquoi le confinement n’a pas été ordonné plus tôt s’il y a un risque. Ne pas prendre au sérieux ces craintes face à un phénomène, qui n’est peut-être pas dangereux, mais ressenti comme tel par la population est une erreur de communication classique qui aurait pu être évitée.
Mais la crédibilité est affaiblie dès le départ, ni la crise, ni les inquiétudes des habitants de la commune ne semblent être pris en charge correctement et les informations ne sont pas délivrées. Dans ce vide s’engouffrent alors les réseaux sociaux, et l’État est dans l’impossibilité de revenir dans le dialogue. Il ne peut plus avoir une posture proactive dans la communication d’informations, mais seulement répondre avec peine à des rumeurs qui se multiplient.
Le préfet a dû faire face à un choix : minimiser pour ne pas affoler la population alors qu’il ne possédait encore pas assez d’éléments pour évaluer le risque, ou la protéger quitte à ordonner un confinement peut être inutile.
Le manque d’entrainement des populations est ici un facteur clé, si on avait été certain de la compréhension des consignes et la signification des sirènes, peut-être aurait il eut moins de mal à décider dans le sens d’une protection maximale.
La première priorité devrait être la protection de la population par la mise en place de consignes claires, relayées de manière efficace, ce qui dans ce cas revient à contraindre la population au confinement dès le début de l’incendie. L’absence de données précises sur la dangerosité de l’évènement aurait dû pousser le préfet à prendre toutes les précautions possibles rapidement pour faire face à l’ensemble des scénarios d’évolution, aussi catastrophiques soient-ils, pour ne faire courir aucun risque aux habitants de la commune, quitte à plus tard alléger le dispositif mis en place, au lieu d’adopter une position frileuse, entre réaction à l’urgence et volonté de ne pas inquiéter.
Lubrizol n’est pas en reste dans ce naufrage. Son premier réflexe est la bunkerisation, le silence, et il faut attendre le lendemain pour une première déclaration de la part de l’entreprise qui semble se cacher derrière l’État.
Ces premières paroles de la part de F. Henry manquent cruellement d’empathie pour les populations affectées par l’incendie. Trop tôt, l’entreprise tente de plus à se défausser en cherchant un bouc émissaire, laissant entendre qu’il s’agit surement d’un incendie volontaire. Répondre à l’émotion provoquée par l’accident en adoptant un ton trop rationnel, en ne montrant pas d’empathie et en cherchant à se dédouaner ne constitue pas une stratégie de communication valable.
Il existe pourtant des manières de se préparer à ces évènements, de réfléchir en temps calme à ce qui doit être dit et à la manière de le dire. S’il est vrai qu’il est compliqué de faire des analyses rapides de phénomènes comme celui de l’incendie de Lubrizol, le scénario reste assez classique et des réponses types et des infographies explicativespeuvent aisément être préparées à l’avance et permettent d’établir une meilleure communication avec la population. Communiquer sur des fumées toxiques constitue un exercice difficile, mais c’est un exercice qui doit avoir été anticipé, et les éléments de langage préparés à l’avance.
Toute crise, aussi brutale et soudaine soit-elle, s’inscrit dans une histoire longue dont il faut tenir compte. Lubrizol n’en est pas à son premier faux-pas : en 2013, une fuite de Mercaptan, additif non toxique qui donne son odeur au gaz, affole la population. Ne présentant en soi pas de risque, cette fuite n’occasionne presque aucune réaction de la part de Lubrizol qui laisse ainsi la panique s’installer. Ce premier accident entame le permis social de Lubrizol, l’existence d’un casier médiatique ne permettant pas une grande tolérance vis-à-vis de la marque de la part des Français.
Plus largement, la multiplication récente des scandales sanitaires et écologiques a des conséquences sur la manière dont la population perçoit et répond à cette crise ci. L’image de Tchernobyl se rappelle à tous alors qu’un nuage « à toxicité non aigue » envahit le ciel rouennais.
Rien dans la communication de crise adoptée par l’État et Lubrizol ne peut faire face au poids des images, à celles de ce ciel noir, et celles publiées sur les réseaux sociaux, rumeurs et fake news comprises.
La communication des pouvoirs publics semble tellement bancale que certains s’en amusent, et le potentiel humoristique de l’affaire va croissant, ce qui n’aide en rien les agents à communiquer sereinement. L’investissement grandissant de ce sujet sur les réseaux sociaux, et la viralité des publications est aussi liée à leur pouvoir comique.
Le 26 septembre, Jacques Chirac, ancien président français décède. Un agenda médiatique plein constitue généralement une bonne nouvelle pour les entreprises en crise, qui passent de ce fait à travers les mailles médiatiques. Mais dans le cas Lubrizol, l’effet s’inverse et on assiste à une accélération du mécontentement de la population. La plupart des journaux titrent sur ce décès et Lubrizol ne reviendra à la une que quelques jours plus tard. Le manque d’information claire et uniforme, l’absence de réponse appropriée de la part de Lubrizol et la monopolisation médiatique par un autre sujet entraine alors une inquiétude collective qui se teinte de paranoïa. Ces réactions témoignent de la défiance envers les médias traditionnels et de l’importance qu’il ne faut pas négliger des réseaux sociaux dans la mise à l’agenda médiatique.
Des groupes politiques investissent alors le scandale, stratégie politique qui permet d’alimenter une critique plus globale du gouvernement. Ce moment de crise constitue de fait l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité pour l’opposition.
Et maintenant ?
La mémoire collective de cette crise sera celle d’une communication et d’une réponse ratée de l’État et de l’entreprise Lubrizol. Une crise qui s’inscrit déjà dans le long terme, la bataille juridique autour des conséquences de l’incendie promettant d’être féroce, et de rappeler à l’ordre du jour médiatique à chaque avancée de l’affaire l’incendie du 26 septembre 2019. Les polémiques font déjà rage autour de la promesse gouvernementale « pollueur-payeur », et autour du bien-fondé de délivrer des autorisations de stocker en si grande quantité des produits dangereux.
Outre les impacts économiques, sanitaires et écologiques de cette crise, un affaiblissement de la confiance en la capacité de l’État à protéger et informer ne sera pas sans effets sur la gestion des prochaines crises et compliquera d’autant la capacité des agents à agir.
Cette crise dessine aussi de nouveaux défis qu’il faudra relever si l’on veut pouvoir faire face collectivement aux crises à venir. La gestion de crise en France doit prendre en compte le problème d’une particularité culturelle du peuple français qui a tendance à se reposer pleinement sur l’État et la police, qui doivent ainsi assumer seuls et pleinement la mission de protection de la population. La colère qui résulte du moindre manquement à cette mission est bien visible dans le cas Lubrizol.
L’État de son côté se défie d’une population qu’il pense volatile voire immature et semble tant craindre de susciter la panique générale qu’il s’enlise dans les déclarations contradictoires, dont l’effet rassurant est quelque peu gâché.
Tant que ces deux problèmes, qui se nourrissent l’un l’autre, ne sont pas adressés, il restera compliqué de désarmer les crises à venir.
Pourtant, il a été montré que face aux désastres, la population est plus résiliente qu’il y parait, moins encline à la panique que ce que le préfet semble penser, il est donc dommage que la défiance soit des 2 côtés.
Il s’agit désormais d’apprendre des défaillances dans la gestion de la crise à la française mises en relief par le cas Lubrizol et se recentrer autour de principes élémentaires : la préparation et la protection, l’empathie et la transparence, la coordination et la communication entre les agents.
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